Nous sommes nombreux à nous être sentir un peu perplexes, ces derniers jours, en ouvrant notre boîte mail. Un long message nous y attendait, dévoilant l’étendue de l’information sur nos petites habitudes collectée par nos sites préférés. Ainsi, toute notre correspondance est lue et décortiquée par le postier virtuel, comme au bon vieux temps de l’Allemagne de l’Est, où l’on décollait minutieusement les enveloppes à la vapeur pour en lire le contenu. De même que l’ensemble de notre navigation sur le réseau, et même tous nos déplacements physiques sont maintenant soigneusement archivés.
Le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui entrait en vigueur vendredi 25 mai, aura déjà eu cet avantage : informer les usagers de l’étendue de l’espionnage dont ils font l’objet de la part des entreprises. Bien sûr, rien de neuf dans ces pratiques, détaillées dans la presse depuis des années, mais l’aveu des principaux bénéficiaires rend la prise de conscience plus aiguë et personnelle. Comme si Yahoo!, Google ou Facebook nous rappelaient qu’ils savaient tout de nous et qu’ils avaient la mémoire longue.
Difficulté à légiférer
Curieuse époque tout de même, où l’exposition de sa vie privée est devenue un loisir et une obsession partagée gratuitement par des milliards d’individus et où, dans le même temps, on s’alarme du commerce qui en est fait. La réalité est que cette affaire confond deux notions proches et ambiguës, celle de la vie privée et celle de l’intimité.
On expose la première, pour la partager avec ses connaissances, afficher un statut social, s’insérer dans un groupe, mais on voudrait protéger la seconde, celle qui traite de nos sentiments, de notre santé, de nos émotions. Le seul problème est que la frontière de l’intimité, notion récente dans l’histoire, est délicate et se complaît dans l’ambiguïté. Or c’est ce jardin secret qui a le plus de valeur marchande.
Pour contourner la difficulté à légiférer sur un terrain aussi mouvant, le nouveau RGPD s’appuie sur le choix éclairé de l’usager : consentement à l’usage, mais aussi droit à l’oubli et au transfert de ses données vers d’autres fournisseurs. Jusqu’à présent, la majorité des internautes faisait peu de cas de l’usage de leurs données privées. Cette pratique était la contrepartie de la gratuité d’un produit et de sa constante amélioration. La recherche Google s’affine à l’usage, et Facebook, de son côté, est un outil de communication incomparable avec ses proches. Mais le vent tourne. L’utilisation de données à des fins de manipulation politique ou de discrimination personnelle ou professionnelle, le déluge de publicités ciblées après le moindre achat plaident en faveur d’un contrôle. Le droit s’invite dans la société numérique avec deux contraintes fortes, celle d’épouser les contours mouvants de la notion d’intimité et celle, plus prosaïque, de rester compatible avec le développement d’une économie en concurrence avec des zones du monde moins soucieuses de protéger les petits secrets de leurs concitoyens.